Une nouvelle génération de ressources propres pour l’UE qui fait débat
L’accord sur le CFP 2021-2027, accompagné d’un plan de relance de près de 800 milliards € "Next Generation EU", s’est conclu notamment grâce un accord interinstitutionnel fixant une feuille de route pour l’introduction de nouvelles ressources propres. Ce dernier a été négocié en parallèle entre les Etats membres et avec le Parlement européen. La Commission européenne vient en décembre 2021 de proposer les derniers contours de sa mise en œuvre.
Pour sortir de la logique de "juste retour", un groupe de travail de haut niveau mené par Mario Monti avait rendu dès 2016 des propositions en faveur de l’introduction de nouvelles ressources propres pour le budget européen. Le départ du Royaume-Uni qui entraine une perte de près de 12 milliards € par an, ainsi que le remboursement de près de 390 milliards € du plan de relance européen d’ici 2058, ont convaincu les Etats, poussés par les parlementaires européens, à fixer dans un accord interinstitutionnel, une feuille de route pour l’introduction de nouvelles ressources propres. C’est ainsi qu’a été introduite, et déjà en vigueur, une taxe sur le plastique non-recyclé.
En juillet 2021, la Commission européenne (CE) a présenté son "paquet climat" qui comprenait une nouvelle ressource basée sur le système d'échange de quotas d'émission (ETS). La CE prévoit de ponctionner les bénéfices de l’ETS, de l’étendre au secteur maritime, et d’augmenter la part des quotas du secteur de l'aviation. Elle propose également un nouveau système ETS pour les bâtiments et le transport routier. Le panier de nouvelles ressources propres présenté en décembre 2021 en peaufine les contours. Ainsi, la CE souhaite que 25% des recettes provenant de l’ensemble des ETS européens alimentent le budget de l'UE. Cela rapporterait en moyenne 9 milliards € par an entre 2023 et 2030, dont 12 milliards € par an pour la période 2026-2030. Cependant, environ 25% des recettes du nouveau ETS pour les bâtiments et le transport routier devraient financer le nouveau "Fonds social pour le climat". La proposition de ce nouvel ETS ainsi que la création de ce nouveau fonds sont loin de faire l’unanimité au Conseil, et la perspective d’un accord d’ici la fin de la Présidence française en juin 2021 s’éloigne.
Conformément à l’accord interinstitutionnel, la CE a également proposé un "Mécanisme d'ajustement carbone aux frontières" (MACF). Son objectif est de réduire le risque de fuite de carbone en encourageant les producteurs des pays non membres de l'UE à verdir leurs processus de production. Il fixe un prix du carbone sur les importations, correspondant à ce qui aurait été payé si les marchandises avaient été produites dans l'UE. Ce mécanisme s'appliquerait pour le moment à une sélection ciblée de secteurs (ciment, chimie, etc.). 75% des recettes du MACF seraient affectés au budget européen. Après une période transitoire, celle-ci devrait rapporter en moyenne un milliard € par an sur la période 2026-2030. Un montant bien en deçà des premières estimations qui prévoyaient un revenu compris entre 5 et 14 milliards € par an. De plus, des tensions concernant les modalités de ce mécanisme persistent au sein même du Parlement européen (PE), notamment l’impact d’une telle mesure sur la compétitivité des entreprises européennes.
Une autre ressource a été proposée en lien avec l’accord de l’OCDE du 8 octobre 2021. Cet accord international prévoit une réforme du cadre fiscal international pour lutter contre l'évasion fiscale, et garantir que les bénéfices soient imposés là où ont lieu les activités économiques et la création de valeur. Le premier pilier de cet accord réattribuera aux pays participants les droits d'imposition d'une partie des bénéfices, dits résiduels, des plus grandes entreprises multinationales. La CE propose que 15% de la part de ces bénéfices résiduels des entreprises dévolus aux États membres de l'UE soient dirigés vers le budget européen. Une manœuvre qui rapporterait entre 2,5 et 4 milliards € par an. Il faudra toutefois attendre une directive prévue en 2022 qui concernera la mise en œuvre de l’accord de l’OCDE. Cette proposition entraine la mise en parenthèse d’une taxe numérique, même si la CE assure continuer à plancher sur ce dossier.
En terme de procédure, afin d’intégrer ces nouvelles ressources propres, une nouvelle décision doit être approuvée à l'unanimité par le Conseil, après uniquement une consultation du Parlement européen. Pour ajouter le "Fonds social climat" et commencer à rembourser l’emprunt ou ses intérêts dès l’actuel CFP, il est nécessaire de relever les plafonds de dépenses de 2025 à 2027. Ceci implique une révision du règlement du CFP qui doit être adopté lui aussi à l'unanimité par le Conseil, mais cette fois-ci après approbation du Parlement européen.
Un deuxième panier de ressources propres devrait être présenté d’ici fin 2023. Il s'appuierait sur la proposition intitulée "Entreprises en Europe: cadre pour l'imposition des revenus (BEFIT)", qui remplace l’impôt sur les sociétés (ACCIS) qui avait été envisagé. Le BEFIT devrait se fonder sur une base d’imposition commune dans la continuité de l’accord de l’OCDE. Cela pourrait permettre d’obtenir des avancées en matière de simplifications administratives, avec la possibilité d’une déclaration unique d’impôt sur les sociétés dans l’UE pour un groupe. Enfin, conformément à l’accord interinstitutionnel, la CE devrait aussi présenter en 2023 une proposition pour une taxe sur les transactions financières.
L’unanimité de l’ensemble des Etats membre étant requise, il n’y aucune garantie quant à l’aboutissement d’une mise en œuvre de ces nouvelles ressources. Une chose est certaine, l’Europe devra rembourser son emprunt et ses intérêts. Et à défaut de nouvelles ressources propres, soit les contributions des Etats devront augmenter avec le risque d’attiser davantage la logique du juste retour, soit les enveloppes des programmes comme la politique de cohésion ou la PAC risquent de subir une baisse substantielle.